vendredi 9 décembre 2016

Labyrinthite circonstancielle.

Bangkok jour 2, dimanche 20 novembre


Je ne suis jamais allée dans un Starbucks de ma vie. Pourtant je possède 2 cartes cadeau de 20$ de cette filiale, gagnées dans un Salon de la Mariée. Demandez pas comment, je les ai c’est tout.
Ayant vu la veille un Starbucks au coin de la rue de mon hôtel, je me dis qu’aller y déjeuner avec une carte tout en profitant du wi-fi gratuit, le tout agrémenté d’un vrai café (ici le Nescafé de merde est roi), ça commencerait bien ma journée. J’arrive au comptoir, je demande au commis s’ils prennent ma carte cadeau (je la montre) et c’est yes. Je commande un grand latte et un croissant jambon-fromage. 280 bahts please. Je tends la carte magique et il essaie de la passer au scan. No good here. Faut croire qu’une filiale, ça file pas partout. Ah ben tabarnnnn… !
Bon, c’est pas si grave, je paie. Mais ça me fait quand même chier royalement, c’est l’équivalent de 10$. C’est ce que me coûte mon lit pour une nuit ! Je demande le code wi-fi.  Au moins, le temps que je mange mon déjeuner, je pourrai faire mes recherches sur mon laptop sur les activités à faire à Bangkok. Je vais dans mes connections wi-fi ; j’essaie de me brancher, ça marche pas. Je vais au comptoir demander des infos dans mon excellent anglais et le commis ne comprend rien. Niet. Il ne comprend que ce qui lui sert à faire ses transactions pour vendre la bouffe, je crois. Le reste est hors de son vocabulaire. Il pointe inlassablement un collant sur le comptoir expliquant le branchement, en répétant wi-fi, wi-fi.
Pour faire une histoire courte, j’ai passé la demie-heure qui a suivi à essayer de connecter mon laptop sans succès. J’ai fini par faire mes recherches sur mon cellulaire avec mon forfait internet local. Système D disait ma mère.

Je décide d’aller au Marché de Prutanam par le train aérien. Parait que c’est immense. Sur les forums, c’est écrit qu’on peut marchander. Je me rends à la station la plus proche et j’achète mon jeton de transport. Je trouve ça super, c’est résolument moderne et ancien à la fois. Et de voir la ville d’un train-métro surélevé, c’est chouette. Les plate-formes et les quais sont larges et sécurisés par des barrières coulissantes électroniques. À chaque bout de quai, un agent. Je m’arrête entre les stations pour aller voir les buildings et les rues, je rembarque, je redescend. C’est cool.










Arrivée à destination, je sors et me ramasse sur une artère gigantesque. Tellement qu’on ne peut la traverser, il faut prendre les passerelles aériennes, les escaliers mécaniques sont HS. Pauvres vieux (ou handicapés) cette ville n’est pas old friendly. Sur le chemin, ça fourmille tous azimuts, les chauffeurs de tuk-tuk m’interpellent, les marchandes de cantines me sourient et me lancent des sawatdee kha (bonjour pour les femmes) en montrant leur nourriture, des moines me croisent en tendant leur bol pour les aumônes, des mendiants assis par terre avec leur petit pot d’argent, des chiens pelés qui dorment un peu partout, même dans la rue.

Entre deux commerces, sur le trottoir, une femme assise en tailleur près de sa petite fille fabrique des fleurs et des babioles en laine crochetée. Elle est en train d’en terminer une, le fil rose sort d’un sac plastique contenant d’autres boules colorées. Écrit sur sa pancarte au sol, Help me and my daughter, buy my flowers. La petite est sale et joue avec un bout de laine. Je m’accroupis devant elles pour être à leur hauteur et je les salue. Sawatdee kha. Je choisis deux élastiques pour cheveux agrémentés de ses fleurs noires. Je lui tends l’argent. J’accroche une fleur sur ma tresse et l’autre sur ma caméra. Elle joint ses mains devant sa poitrine et se penche. J’en fais autant. J’ai la larme à l’oeil. Ostie de pauvreté de marde.

Juste un peu plus loin, une autre femme avec cette fois-ci un bébé d’environ un an, je dirais. Le bébé dort directement sur le trottoir devant sa mère qui semble accablée par la chaleur. Il n’y a aucune ombre, aucune brise, le soleil tape en malade et l’air est noir. Les passants contournent le bébé qui est dans le chemin comme si de rien n’était. De biais avec eux, appuyé contre un mur, un homme sans jambes demande aussi l’aumône. Je pose mon sac et j’observe les gens qui doivent passer devant eux. La plupart ne les regardent pas ; ils les ignorent, ils marchent comme des robots. Et ça me fait penser aux itinérants et sans-abris de chez nous, dont j’ai l’impression que le nombre augmente constamment et qui, eux aussi, sont invisibles pour les passants, tant qu’ils sont tranquilles. Mais nous avons des services sociaux, des refuges, des restos modiques, etc. Attention, je ne dis pas que c’est formidable, loin de là, mais il y a des ressources et des intervenants qui aident. Mais ici je me demande ? Pour que des femmes avec des petits enfants n’aient comme moyen de subsister que la mendicité dans une jungle de ciment puante, y’a de quoi hurler, non ? Je fouille dans mon portefeuille et je vais leur donner des sous. Fuck.


Je cogite en continuant mon chemin, mon cerveau fait des bulles. Des PFK, Super C, Domino's Pizza, Starbucks, MacDo me font halluciner dans ce décor. Surtout quand j’aperçois ce cher Ronald, plus ketchup-moutarde que jamais, me saluer à la thaï. Il est carrément freakant.


Il fait vraiment chaud, je sens la sueur qui descend en rigoles entre mes omoplates jusque dans le bas de mon dos, sous mes seins, mes jambes. Mon sac photo est vraiment lourd, noir, encombrant et empêche toute brise d’atteindre mon dos. Pourtant, ce n’est pas ça qui me dérange, mais la pollution, la puanteur des véhicules et des poubelles à ciel ouvert. Tout, tout, tout où l’oeil se pose est couvert de suie. Je passe un pont sous lequel un canal à l’eau brune coupe le quartier comme une veine ouverte. En-dessous, de chaque côté, des quais comme des rames de métro où les bateaux font office de wagons. J’y descend mais n’y reste pas longtemps, j’ai hâte d’arriver au marché.





Encore des rues à traverser en prenant des risques, je vous l’ai dit, le piéton c’est de la gnognotte ici. Les véhicules n’arrêtent pas, c'est à toi le cruchon de laisser passer. Bon, une autre passerelle à emprunter et j’y suis. La grande banderole le confirme. Enfin !


Je fais un coin de rue et cherche le marché. Il y a des boutiques tout le long de la rue, mais où sont les kiosques, les tentes, les pavillons ?
Je commence par chercher un chapeau parmi les boutiques visibles, je sais que j’en aurai besoin et vite, je ne veux pas attraper une grillade de la caboche. J’anticipe aussi quand je serai dans le sud, sur une plage….

Pas de chapeau sauf des casquettes, des trucs de sport. Je continue à chercher… puis j’aperçois des touristes sortir d’un étroit passage couvert entre deux commerces. Un peu plus loin, une autre ouverture semblable. OK, le marché doit être là-dedans. J’entre.

C’est sombre comme le cul d’un ours. (juste pour dire que les photos du blog sont sans traitement ni recadrage, brutes de ma caméra. Je ne peux les traiter avec mon mini laptop. Donc, quand je dis que c'est sombre, la caméra a compensé et tout parait plus clair que dans la réalité)
Un long corridor glauque, des néons intermittents, des portes de boutique en fer pour la plupart fermées, des caniveaux dégueulasses, des mouches… chuis dans quoi, moi là ?
Ha ! vl’à une boutique ouverte, une dame fait de la couture. Au mur, emballés dans des plastiques, des costumes de danse colorés, scintillants de perles et de paillettes. Plus loin, une autre dame repasse avec un fer antique. Là, un homme empile des caisses de je-sais-pas-quoi.
Mais y’a du monde qui travaille là !







Sur les murs, des tonnes de vieilles photos décolorées et d’articles de journaux jaunis relatant la longue vie du roi Bhumibol Adulyadej, dit Rama IX.




Le corridor en croise un autre, puis un autre. C’est un labyrinthe chaud, humide, rempli d’objets hétéroclites sales, décatis qui s’antagonisent avec les marchandises neuves. Y’a des scooters aussi, c’est weird.
Un homme fait la sieste sur un lit de camp, entre des caisses de bois. Un petit garçon passe sous mon nez sur un vélo rose et s’arrête un peu plus loin. Un autre pleure dans un coin.
Mais y’a du monde qui vit là !

Des enfants vivent ici pendant que leurs parents travaillent.
Plus loin j’arrive dans un espace commun dont le centre est occupé par un grand comptoir où une femme cuisine pour les travailleurs de la place. Des bols de soupe pas toujours vides traînent un peu partout, même par terre. Beaucoup de chats très maigres somnolent d’un oeil. J’imagine que ce sont les chasseurs de vermine. Sur un mur, à deux pieds de mon nez, je vois une blatte aussi grande que la paume de ma main.

Mais y’a du monde qui mange là !





Avec des signes je demande à la cuisinière une photo, elle accepte et me sourit. Je me sens voleuse. Tout ça donne tellement à réfléchir sur la condition humaine.


Les rares personnes à qui j’ose humblement demander des photos acceptent. C’est beau et c’est triste. Je les remercie sans mots.
Je continue à explorer, à gauche, à droite, je reviens sur mes pas, je n’arrive pas à sortir de ce labyrinthe qui me fascine.


C’est finalement dans ce même marché que je trouve mon beau bibi de paille, dans une boutique poussiéreuse débordant de chapeaux empilés jusqu’au plafond comme des chips Pringles. Je fouille, je fouille, je désempile sous le regard calme de la vieille femme derrière son comptoir.
Puis je le vois, avec son ruban noir, c’est un vrai coup de coeur. Je ne négocie pas, je paie le prix demandé. L'idée de marchander dans un lieu de misère il me semble que c'est crissement indécent.
Plus loin dans les entrailles du marché caverneux, j’achète aussi une paire de sandales tressées et un nouveau portefeuille en cuir.

Selfie pris plus tard. Mon beau p'tit chapeau de paille.

Très gentille dame qui vend des chaussures. Elle m'a mise en garde de surveiller mon sac contre les voleurs. Merci du conseil madame.

Je sors.
J’ai envie de pipi.
Je reprend la passerelle de la mort et entre dans un centre d’achat juste en face du marché Prutanam. C’est vaste, climatisé, hyper luxueux, sur plusieurs étages, ascenseurs, fontaines. Je marche en cherchant les toilettes. Dans les boutiques que je croise, j’aperçois des articles semblables à ceux vus dans le labyrinthe. Je vais voir les prix et c’est pas mal plus cher. Et je pense aux pauvres gens qui travaillent dans des conditions immondes de merde juste de l’autre bord de la rue, dont les produits sont vendus ici dans des boutiques chérantes… Eurk.

Je trouve les toilettes. j'essaie d'entrer dans une cabine, mais c'est minuscule et j'ai mon gros sac, mon chapeau, ma caméra, une poche avec de la bouffe et de l'eau... Bref, je fais de la contorsion digne du Cirque du Soleil pour tout rentrer et accrocher derrière la porte... qui n'a pas de crochet. En essayant de tout poser intelligemment pour pouvoir pisser et en fouillant dans mon sac pour des papiers mouchoirs, je m'échappe mon zoom 70-200mm sur le pied ! Câlisssse, c'est pire qu'une enclume ! Heureusement, le zoom n'est pas endommagé, mais mes orteils saignent, c'est bien fendu ! Fiou et aïe !
Je nettoie comme je peux et je tamponne de papier mouchoir. Pas grand chose de plus que je peux faire. Je quitte ce temple de la démesure et ressors dans le sauna urbain.
Je marche lentement avec mes orteils sanguinolents qui attirent les mouches comme une charogne attire les urubus.
Le retour en train aérien me parait bien moins joyeux qu’à l’aller.

Arrivée à ma cellule blanche et propre du Matchbox Hostel, je regarde sur le petit écran de ma caméra les images qui ont jalonné mon trajet depuis ce matin ; les dernières me foutent la tristesse dans le plancher. Mais je sais que ces photos de mon voyage en Thaïlande sont plus significatives pour moi que n'importe quelles images carte postale de plages paradisiaques, de photos de magazine léchées faites pour faire saliver les touristes.

Je ramasse mes bébelles et je me couche tôt. Pas sûre que je vais rester encore longtemps ici. On dit que la nuit porte conseil. Demain est un autre jour.

Mon alcôve au Matchbox Hostel. On se sent vraiment comme une allumette dans sa petite boite.  



1 commentaire:

  1. Merci pour ce beau récit, je comprends mieux pourquoi tu n'est pas restée longtemps à Bangkok.

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