dimanche 11 décembre 2016

Le Tortillard 109

Lundi 21 novembre : changement demain, changement de ville, hein ?

Pendant la nuit qui suit ma visite dans le marché Prutanam, je me réveille plusieurs fois, je dors mal. Il est environ 2 heures du mat, je décide que je vais partir de Bangkok. L’idée de prendre le train de nuit vers le nord me plait. On m’avait parlé de la ville de Chiang Mai et de son vieux quartier ceint d’un canal, d’un wat en haut d’une montagne dans la nature, de camps avec des éléphants. Pourtant, avant d’arriver à Bangkok, j’avais rêvé d’aller y visiter des sites réputés comme le grand Bouddha Couché, le Palais Royal, etc. Mais la pollution, le bruit, la misère m’ont découragée. Et je me dis que des sites formidables avec des Bouddha assis, couchés, debouts, il y en a partout en Thaïlande ! Alors, ciao Inferno !

Je me branche sur Couchsurfing.com en pleine nuit et je cherche les hôtes dans Chiang Mai, on ne sait jamais. Je trouve un monsieur intéressant pour une fille comme moi : Mark, photographe dans la soixantaine, retraité, grand voyageur, philosophe, cultivé, artiste, belle petite maison, du temps libre pour jaser. Bref, que du bon. Je lui écris. J’attends. Pas de réponse. Évidemment, c’est pas tout le monde qui veille aussi tard… Ensuite je fais des recherches pour acheter en ligne un billet de train pour Chiang Mai. Je cherche je cherche, ça s’annonce mal, on ne peut pas acheter de billets en ligne directement de la station de train. Par contre, je trouve une flopée d’agences de voyages qui vous les vendent en ligne, mais il faut réserver au moins 3 jours à l’avance et ils se font une belle cote ! Ben voyons donc, c’est quoi cette arnaque ? Des scalpers de train, câlisse ! ha ha ha ! Mais c’est logique. La compagnie de train n’offre pas un service qui est essentiel pour les voyageurs. Il y a une demande mais pas de service, alors l’offre se comble par le privé. Business is business.
Anyway, ça ne se peut pas que je ne puisse pas partir sur un coup de tête et je ne veux pas rester trois jours de plus ici. Ça doit arriver à plein de monde de devoir voyager en train à la dernière minute. Je me renseigne sur des forums, sur des blogs, etc. Finalement, une info pertinente : il est possible, en se rendant sur place de se procurer un billet, si ce n’est pas complet. De plus, il y a aussi un guichet à l’écart des autres réservé aux voyageurs étrangers. Parfait, c’est réglé.
Je met l’alarme pour 8 heures et me recouche en préparant mentalement mon départ pour le lendemain et en espérant que ce monsieur sera disponible.


Le matin arrive, je ramasse et trie tout, je déjeune et me prépare à quitter. Dernier coup d’oeil sur mon téléphone. Réponse de Mark que je traduis ici brièvement: “ Désolé ma chère Carole, j’ai déjà un visiteur, mais si tu passes dans le coin, viens prendre un café, je suis la plupart du temps à la maison, dans le jardin, à bricoler. C’est avec plaisir que je t’accueillerai, le temps d’une jasette.”

Dépitée, je ne sais plus quoi faire. Tout est prêt pour mon départ ; mes bébelles photo, mon passeport, mes baths, mes vêtements tout fripés, mon nouveau chapeau, un restant de bouffe indienne que je vais probablement manger avec les doigts, faute d’avoir trouvé des ustensiles en plastique dans la cuisine de l’hôtel. J’ai une décision à prendre là, drette là. J’écris à Mark que si ça lui convient, je pourrais descendre dans le sud quelques jours et lui demande s’il pourrait m’accueillir plus tard chez lui, genre la semaine prochaine ou celle d’après.
Envoi. Attente de 5 minutes. Le temps presse. Il est midi. Pas de réponse. Mon petit doigt me dit de partir quand même vers le nord. Je check-out à la réception. Me voilà dehors dans le sauna public chargée comme un âne. Marche marche marche jusqu’au métro pour me rendre à la station de trains. Advienne que pourra.

Le métro de Bangkok, tout comme le train aérien que j’ai pris les jours précédents, est formidable. Moderne, branché, propre, spacieux, du beau travail. Et le tarif est au trajet parcouru. Tu vas pas loin, ce sera vraiment pas cher. Tu vas jusqu’au bout de la ligne, ce sera juste un ti-peu plus cher que pas cher. En bonus, un éclairage doux et chaud sous lequel les gens sont beaux, lumineux. J’avais jamais vu ça. Je gage que même un zombie aurait l’air frais dans le métro de Bangkok, alors qu’à Montréal, on a tous une tête de déterré, même la plus belle fille du monde y est moche.

J’arrive à la station de trains. C’est magnifique ! Un beau bâtiment ancien avec de la patine, un plancher de pierre avec des motifs, dôme lumineux, pilastres ornementés, fer forgé aux escaliers. Au centre, une exposition de photos de qui ? Oui, le roi défunt. Son visage est partout. Sa mémoire est inoubliable.


Une exposition de photos prises par le roi, amateur de photographie.
L'espace réservé aux moines.

Je m’en vais directement vers le guichet réservé aux étrangers, dont les employés sont garantis parler anglais, je l’ai lu la veille sur un forum.
J’entre et aussitôt une agente me fait signe, sa petit main dans les airs. Je la salue et lui explique que je ne savais pas qu’il fallait réserver d’avance les billets, que j’ai quitté mon hôtel, que j’ai tous mes bagages avec moi et voilà.

Elle : “ Et ou voulez-vous aller ?” Wow ! elle m’a comprise. Mon anglais ne doit pas être si abominable que ça finalement.
Je réponds donc : “Chiang Mai.”
Et elle de me demander : “ Et quand prévoyez vous partir ?”
Moi : “Aujourd’hui, c’est possible ?”
Elle :  “Oui, et quelle heure voulez-vous ?” Oh boy, c’est trop beau pour être vrai.
Et elle tourne son écran vers moi et me montre la liste des départs de la journée.
Moi : “Celui-là. 13:45 h. C’est bon ?”
Elle : “Oui, couchette du haut seulement qu’il reste. ça vous va ?”
Moi dans ma tête : “Mets-en !”
Moi à elle: “Oui.”

351 baths pour le voyage et le dormir.

Je paie (franchement c’est vraiment pas cher, bien moins que ce que les agences de réservation affichaient comme prix ) Je calcule dans ma tête et je repense à ma déconfiture du Starbucks, qui m’avait chargé 280 bahts pour un café au lait et un croissant jambon fromage. Donc, un voyage en train-couchette de 15 heures, c’est un peu plus cher qu’un petit déjeuner au Starbucks et on sauve une nuit d’hôtel. D’une pierre deux coups. Fudge. Je m’en souviendrai.

Bon, j’ai presqu’une heure devant moi, je pars faire des photos. Je me promène sur le quai. Clic, clic. Je fais la fouine et je met mon nez un peu partout avec un air innocent.




Toutes les literies de couchettes sont nettoyées entre chaque voyage.
Je me demande si c'est le chef du resto qui se balade à poil entre deux trajets... hummm ?


Je cherche mon train. Il reste 15 minutes. Et là j’ai un doute ; je ne suis pas sûre d’être allée du bon côté. Je demande à une jeune fille, qui passe sur le quai un balai ébarbiché qui a l’air d’être plus vieux qu’elle, si je suis au bon endroit. Je dis Chiang Mai en pointant le train devant nous. Elle fait non de la tête, fait demi-tour et pointe du doigt l’autre bout de la gare. Oups !
Petit boost d’adrénaline, le premier depuis mon départ. Je pars en sens inverse en accélérant  le pas. Je passe toutes les plateformes en regardant les numéros de train et l’heure de départ. Mais ou est-il, cibole? M’a-t-elle bien comprise, m’a-t-elle bien renseignée ? J’arrive au dernier train. C’est le bon. Je souris. Je prends encore quelques photos.

C'est le bon ! Train 109 pour Chiang Mai.
C'est plus facile de faire des profits quand tu n'as pas de local à payer...


Le train est ultra vieux, du gros métal partout, des ventilateurs de l’ère industrielle, on dirait que ça date des années 50. Malgré les chiottes sales, j’adore ! Mieux encore, les fenêtres sont complètement ouvertes, on peut se pencher à l’extérieur ! Ça va être parfait pour faire des photos. Rien n’est plus frustrant que de photographier au travers d’une vitre, sale la plupart du temps.
On démarre.



Je suis agréablement surprise, le wagon est rempli de femmes et de quelques enfants thaïs. Pas beaucoup d’hommes, si l'on exclue les moines, encore moins de touristes.
Tout le monde me salue, essaie de me parler en signes. On sourit beaucoup.
Deux petits garçons me dévisagent constamment, ils me tournent autour, mais gardent leur distance, gênés.

Sortir de la région de Bangkok est long. Tout le long de la voie ferrée, je constate que des gens vivent collés dessus, dans des maisons de fortune en tôle et matériaux de récup. Certaines sections sont immenses, des labyrinthes qui rappellent les images de favellas d'Amérique du sud. Il y a aussi la construction du prolongement du train aérien qui suit pendant des kilomètres la voie avant de bifurquer. Comme je l'ai vu dans Bangkok, il ne semble pas y avoir de règles de sécurité strictes : les chantiers sont un mélange de bulldozers, camions, travailleurs, cantines, cabines de tôle, scooters, animaux, le tout dans un bazar désordonné.






Pendant le long trajet, des marchands de bouffe passent et repassent inlassablement l’allée avec leurs paniers. Jus, fruits, poissons, viande séchées, plats emballés, noix, riz, eau, mochis, etc.
Je sors des fruits de mon sac. J’ai plein de clémentines. J’en tend à la dame en face de moi. Elle accepte. Le petit garçon regarde les fruits fixement. Je lui en offre. Il s’approche lentement, regarde sa mère, elle fait oui de la tête. Il prend les fruits. Il est tellement content. Toutes les dames sourient. Ça y est, la glace est brisée avec les enfants. Ils vont venir me voir de plus en plus souvent et à la fin ils vont s’asseoir à tour de rôle avec moi sur mon siège. Le plus petit s’assoit même sur mes genoux, je suis aux anges ! Ils me montrent leurs jouets, des voitures en plastique et des montres “transformers”. L’atmosphère est tellement joyeuse, on rit pour un rien même si on ne se comprend pas.

Un petit thaï qui ne parle pas anglais porte un chandail avec une icone on ne peut plus américaine, Snoopy.


Le temps passe, une heure, puis 2 et 3… Il fait beau, les gares défilent, le paysage change. À un moment donné, le plus âgé des garçons, 7 ou 8 ans, met sa main devant mon objectif pendant que je vise. Je ne sais pas à quoi il s’attendait, mais je pars à rire tellement fort qu’il sursaute. Mais je continue à rire et à rire tellement qu’il se met à rire lui aussi après avoir eu un air surpris. Bingo ! C’est contagieux, les femmes autour se mettent à rire elles aussi et celles qui veulent savoir pourquoi cette folie gesticulent puis se le font conter. Je ne comprend pas la langue, mais je comprend les gestuelles qu’elles font. Étrangère-là, caméra, garçon, main, surprise, rire.

Je prends beaucoup de photos par la fenêtre. J’aime les arrêts aux gares, voir les passagers descendre ou embarquer. Toutes sortes de gens m’envoient la main du quai quand le train repart. Le roulis et le son rythmique me bercent comme un bébé. Je tombe en amour avec le voyage en train, moi qui n’en avait jamais pris avant.


Des écoliers descendent du train pour renter à la maison.
Dans toutes les gares, le drapeau de la Thaïlande.

La cloche a sonné, c'est le temps de repartir.




Des macaques. Ils sont souvent présents autour des temples, ils sont nourris et les touristes en rajoutent.

Le soir tombe vite, autour de 18h.

Entre 17 et 18h, le soleil s’évanouit lentement à l’horizon. Un officier de train commence à installer les couchettes avec ses outils. Il enlève ses souliers pour grimper sur les échelles et les bancs pour arranger les lits supérieurs. Il redescend, remet ses chaussures, passe à l’autre section et les enlève de nouveau. Le manège se poursuit sans anicroches. Comme tout le monde, je m’installe dans mon petit cageot aux rideaux tirés, je me mets à l’aise et je m’endors assez rapidement au doux rythme du tangage ferroviaire. Quelle belle journée j’ai eue !

Photo ratée au cellulaire, mais on voit les chaussettes !


Mon beau bibi en voyage.






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