mercredi 7 décembre 2016

L'envers du miroir

Jour un dans Bangkok, samedi le 19 novembre.


Réveil vers 9:30h après une nuit cahin-caha et des rêves bizarres. Je suis courbaturée et je sens la sueur, mais de bonne humeur.
Je prends une douche, je trie les affaires dont j’ai l’impression que j’aurai besoin au cours de la journée et je sors de l’hôtel. Direction déjeuner ! Marche, marche fifille, il fait beau. C’est pas long que je trouve qu’il fait chaud pas pour rire, ça me rappelle la Gouadeloupe. Il y a des rubans noirs et blancs et des images du défunt roi un peu partout, même dans des endroits incongrus. Je fais attention aux trottoirs car il y a des cassures, des trous et des objets qui le bloquent à tous les 3 pieds, quand faut pas les contourner à cause des scooters et des cantines de rue. Y'a des voitures partoutÇa pue violemment à certains coins de rue. Pourtant, le bonheur d’être ailleurs me submerge.

Dans l’entrée d’un gros centre commercial, une exposition qui relate la vie du roi en peintures, sculptures et photographies m’attire. C’est chic et solennel et des gens prient devant une sorte d’autel. Un trio de musique jazz live agrémente la présentation.






C’est beau mais j’ai faim aussi. Je repars, toujours d’un pas guilleret, et je trouve un resto avec wi-fi , je dois l’avouer, le menu est plutôt américain. Ça s’appelle The Gastro et je rigole intérieurement en me disant que le proprio ne parle probablement un maudit mot de français. S’il savait !
Et je n’ai pas tort. À peine entrée, je commande une omelette avec jambon et fèves au lard et au même moment, un grand type, mais vraiment grand et costaud, descend un escalier et me salue chaleureusement dans la langue de John Cleese (je le préfère à Shakespeare, bon). C’est le chef. On commence à jaser. C’est un Australien. Je suis Québécoise. Je parle anglais avec un accent français et il parle anglais avec un accent… fort ? Je lui indique les endroits que je voudrais voir. Il me parle d’un marché flottant qui serait Noyce à visiter. Noyce ? Il me répète le mot : Noyce. I’m sorry je comprends pas. Il écrit le mot sur un mouchoir. N-I-C-E. Et moi je m’exclame : Ah! Nice !
Et là je me sens conne. Mais vraiment conne. Je pense à toutes ces fois où l’on contait l’histoire du québécois qui demande du beurre à un serveur français… Vous la connaissez ? C’est pareil. Alors je m’excuse auprès de mon interlocuteur, toute gênée d’avoir probablement commis un impair sur les accents. Il doit me trouver pas trop méchante car il en rit autant que moi.

Il me dit : You are from Canada, why did you say you are from Quebec ?
C’est vrai, je n’avais pas pensé à ça, moi…. c’est que je prends mes désirs pour la réalité.
Lui qui ajoute : On your passport, the country is Canada.
Et allez hop, je te lui pars une discussion politique sur le séparatisme !
Toujours est-il, au final, qu’il a raison, le Québec est encore, aux dernières nouvelles, une province du Canada. Je lui ai expliqué que ma réponse avait été spontanée et on en a rit. Mais pour éviter de me répéter sur ce sujet, je me présente maintenant comme une French Canadian from Quebec. Je me sens comme la soeur d’Elvis Gratton, batarnak !


Pas loin du Gastro, un beau grand parc niché entre la structure dominante du train aérien, ses passerelles et ses escaliers, les rues bondées de véhicules frénétiques, les fils électriques innombrables qui pendouillent et tournicotent tentaculairement dans une anarchie junglesque et d’oppressants buildings vertigineux.







J'entre dans le parc et m’y assois dans l’herbe, j’enlève mes sandales et je respire à fond, profondément, encore et encore, et je relaxe au milieu de ce capharnaüm. Le ciel est superbe et dense, les grandes branches des palmiers balancent doucement dans l’air chaud. À côté, un jardin d’enfant d’où s’envolent des voix et des rires cristallins et heureux. Tout autour il y a des oeuvres d’art public (chic, j’adore ça !), des plantes insolemment exotiques qui bordent un miroitant plan d’eau. J’imagine un mélange du Mont-Royal et du parc Lafontaine, version Bangkok.
Le fameux ratchaphruek.

Près du lac, je vois passer une forme jaune safran entre les arbres ; un moine.
Je me lève et pars dans sa direction. Mais je le quitte rapidement, attirée par une sculpture qui me fait de l’oeil. Parce que j’ai un kick pour l’art public. Toujours heureuse d’en découvrir, toujours triste qu’il n’y en ait pas plus. Je cherche le bon angle, je clique. Satisfaite, je pars à la rencontre des autres oeuvres qui ponctuent les allées du parc.






En chemin, des écolières en costume de collège privé sont en train de se prendre en photo devant le grand bassin. J’aimerais bien les photographier, elles ont l’air si candides. Comme je m’approche, ce sont elles qui viennent vers moi, timides et réservées mais en riant. Je suppose qu’elles vont me demander de faire une photo d’elles avec leur appareil, ça arrive souvent. Mais c’est pas ça du tout, elles veulent m’interviewer pour un travail scolaire ! Et me voilà en échange avec les filles, qui me filment en me posant des questions sur mes impressions de la Thaïlande. Pour une fois, je joue le jeu devant la caméra, moi qui déteste que l’on me photographie ou que l’on me filme. Personne dans mes proches, au grand jamais, ne verra ce petit film. Je réponds donc joyeusement à leurs questions, n’ayant que des bons mots pour ce que j’ai vu et vécu jusqu’à maintenant. Je leur dis d’ailleurs que je viens d’arriver, elles comprennent et au final elles sont bien contentes de moi. Ça fait plaisir ça.
Je les félicite pour leur bel anglais et leur demande leur âge, en misant qu’elles doivent avoir autour du même âge que Fiston, donc autour de 14, 15 ans. Elles rient... et rient ! Elles sont majeures : 18 ans ! Je me confonds en excuses, je voudrais me transformer en citrouille et finir en tarte. Je vais découvrir assez vite que beaucoup de thaïs ont des physiques et visages juvéniles jusque tard dans leur vie. Je leur demande une photo à mon tour, c’est yes, elle sont bien gentilles.


Je continue ma balade dans ce très beau parc, je m’arrête pour boire, manger une petite brochette de poulet et je m’installe à une table à l’ombre des palmiers royaux pour écrire. Gros bonheur doublement sale, mon chum vient de m’envoyer un message pour me dire qu’il y a de la neige à Montréal !!!
Les heures passent, idylliques. Je retourne faire des photos et je vois une ouverture, un portail dans le fond du parc entre des monticules de terre et des matériaux de construction. Ça donne sur une ruelle, j’y entre. Des chats et des chiens errent ou font la sieste, les arrières de cour de maisons sont de plus en plus pauvres à mesure que j’avance dans la voie. Il y a des sacs poubelles éventrés qui vomissent leur contenu par terre, des meubles décrissés qui rouillent, des scooters garés un peu partout devant chaque portillon, beaucoup de bouteilles d’alcool éparpillées. Dans les cours, des gens s’activent, mangent, font la lessive, des enfants pleurent ou jouent. Des familles quoi. Quand je croise un regard, je salue, je souris et on me le rend.
Plus loin dans une ruelle, grand mur de tôle avec la porte entrouverte. J’y jette un oeil et aperçois derrière la palissade un terrain en construction, en fait plutôt des maisons en démolitions et un petit bulldozer qui travaille la terre et les débris. Des hommes y travaillent avec des foulards sur le visages, certains à mains nues pour manipuler les tiges de métal, et rien ne semble suivre de normes de sécurité. Mais ce qui me surprend vraiment, c’est ce que je vois à l’arrière de tout ça: la grande roue du parc d’attraction des dinosaures qui brille dans le ciel bleu et les pavillons du parc. De ce côté-ci du miroir, des petites maisons de pauvres sont démolies pour faire place à la modernité.
La vue me fascine et je m’avance un peu plus dans l’embrasure de la porte pour satisfaire mon sale voyeurisme. Et là, deuxième surprise ; dans ce chantier en construction, au bord du grand trou de terre bulldozé, au milieu des hommes et des matériaux, une jeune fille prend une douche avec un boyau d’arrosage ! Ses cheveux sont couverts de mousse de savon mais ses pieds nus sont dans la boue, l’eau coulant de son petit paréo de pudeur vers le grand trou de terre en petites rigoles brunes et moussues. Quand elle me voit, elle sursaute et fait un rire gêné et moi aussi. Je m’excuse et décampe, les hommes rient. J’en reviens juste pas de ce que je viens de voir. Je sens que mon voyage ne sera pas ennuyeux !
La jeune fille qui prenait sa douche se trouvait derrière le panneau de métal de droite. 

Je continue ma route et arrive à une rue passante qui grouille d’humains et de chiens. Le soleil commence à descendre et les néons prennent la relève dans l’air gris de pollution. Une mendiante aveugle, assise par terre sur le trottoir, chante avec un micro dans un karaoké, augmentant ainsi le bruit assourdissant de la ville. Noyée, perdue, sa voix est pourtant belle et juste. C’est sa vie qui ne l’est pas.
Je tourne au coin d’une ruelle au hasard. Une porte d’arrière de commerce est ouverte et, appuyée contre le mur en fumant une cigarette comme une star hollywoodienne, une grande femme mince très maquillée me fait le plus beau sourire du monde en expirant la fumée diaphane de sa bouche trop rouge. Derrière elle j’aperçois une autre femme semblable travaillant à une machine à coudre. En arrière plan, une télé allumée repose sur des machines à laver commerciales. C’est une buanderette. Je lui souris en retour. Elle me parle en thaï et évidemment je ne comprends rien. Elle me fait signe d’entrer. Je décline. Ces belles sont des travestis (peut-être des trans ?) mais ça ne change rien au fait qu'on ne se comprendrait pas.
Cette ruelle est différente de l’autre : très sombre, pas de fleurs, pas de vêtements qui sèchent, un ou deux scooters pas plus. Plus j’avance, plus ça sent la pisse, mais vraiment au point qu’avec la chaleur je commence à avoir la nausée. Un homme sort d’une cour. Il est immense, gros, gras, blanc, moustachu et chauve. Il tripote la boucle de sa ceinture de pantalon en marchant pas mal rapidement pour la chaleur qu’il fait. Mon petit doigt me dit que je suis probablement dans une ruelle de passes… Je fais demi-tour pour me tirer de là et j'aperçois un petit temple au travers d’un grillage. J’allume ma caméra, au moins je ne serai pas venue ici pour rien. Pendant que je prends des photos à travers les barreaux, une voix douce me parle en thaï. Je me retourne pour voir ma belle diva qui me fait des bye! bye! en souriant. Je la regarde se diriger vers le fond de la ruelle glauque, sur ses talons hauts, en balançant nonchalamment de gauche à droite ses petites fesses aux hanches étroites et son sac à main. Peut-être qu’avec le temps, la pisse on ne la sent plus.

De retour à mon hôtel dortoir, je m’écrase dans mon lit et sur mon statut Facebook j’écris : Salut tout le monde, juste un petit mot pour vous dire que je me suis bel et bien rendue à Bangkok. Je viens d'y passer ma première journée, et je m'y suis tout-de-suite plu. Le dépaysement viendra surement plus tard, mais pour le moment, ça baigne ! Ma curiosité est bien nourrie, mon oeil est flatté, mon corps ne se plaint pas trop de cette chaleur omniprésente, les gens sont gentils et patients. Je déambule lentement, tropicalité oblige, et ça me plait. Je prend des photos et des notes en pensant au blog, je bois de l'eau comme jamais et elle s'évapore de moi au fur et à mesure qu'elle passe de la bouteille à ma gorge . Dans ma tête ça bouillonne et c'est joyeux. Demain est un autre jour.

Et je sombre dans les bras de Morphée.


2 commentaires:

  1. Waouh! J'ai l'impression de voyager avec toi... Et dire que c'est seulement la première journée! J'attends la suite avec impatience.

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